
TRIBULATIONS D’UNE NOIX
(à la manière de de B Pivot)
« Je suis tombée de l’arbre un beau matin d’automne. Ma bogue verte et souple a durement éclaté et je me suis retrouvée presque nue sur le sol. Heureusement, ma coque dure et ronde m’a fait rouler dans la rigole du trottoir et là, il fallait y mettre de la bonne volonté pour m’écraser d’un seul pas de promeneur.
Je croyais me dessécher seule et isolée, à peine remarquée, quand un livreur de pommes déchargea la moitié de son sac percé sur le bitume, près de la maison de la personne à qui était destinée la livraison. Celle ci me récupéra dans son panier avec les fruits qui avaient subi quelques bosses en tombant.
Tout étonnée de me trouver au milieu de ses pommes, elle m’observa d’abord attentivement se demandant si elle devait immédiatement m’ouvrir et me déguster miette par miette ou me mettre de côté et décider plus tard de mon sort.
Je dirais que je n’en menais pas large sachant, qu’un jour ou l’autre, comme toutes les autres noix que j’avais connues, je finirais ma vie entre les deux bras d’une pince de torture impitoyable : le casse noix. J’avais souvent entendu le bruit sec et meurtrier quelle faisait au contact de notre coque pour libérer l’amande à la forme si caractéristique et au goût si incomparable.
Au cours d’une séance d’épluchage des pommes, je me glissai sous les épluchures et me retrouvai à la poubelle. Je me dis alors que c’était le moindre mal, et qu’avec un peu d’ingéniosité, je pourrai à nouveau me retrouver à l’air libre. Tout, plutôt que de mourir en mille miettes sous la pince ou les dents des gourmands.
Je restai longtemps parmi les immondices et pensais terminer, là, ma vie de noix inutile quand un jeune garçon d’une ferme voisine me dénicha, me ramassa et eut la bonne idée de m’enfouir dans la terre, dans un angle du champ de pommes de terre de son père.
Aujourd’hui, vingt ans après, je suis un noyer merveilleux et l’enfant, devenu adulte, contemple avec fierté mes branches porteuses d’une nombreuse descendance. »
Jacqueline L

le martyre du chocolat
Le chocolat a-t-il une mémoire? Qu'il soit blanc ou noir au lait aux noisettes, en forme de tablette ou de gâteau butyreux, se souvient-t-il des cacaoyères, des cacaoyers, des cabosses, des graines de cacao? A-t-il gardé une trace de la précieuse théobromine? Frémit-t-il dans sa tasse quand il entend prononcer au-dessus de lui les mots astèque, nahuatl Mexico, Comment le divin chocolat pourrait-il se rappeler tout cela, alors qu'il est le résultat d'un martyre qui passe par la déportation, le concassage, la torréfaction, la glaciation, le succion et la mastication?
Bernard Pivot
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