Un manuscrit s'immole dans le hall d'une maison d'édition

 

     « Très ancien, retravaillé et complété par des générations d’écrivains, j’étais un manuscrit superbe et précieux écrit en lettres d’or sur un vélin de luxe. Restant très fragile, on me manipulait avec beaucoup de précautions.

 

    Figuraient sur mes pages des milliers de pensées de sagesse puisées chez les philosophes des premiers siècles, méditées pendant de longues années par des humains en recherche de perfection intérieure.

  

    Coincé au milieu d’autres manuscrits en mal d’édition entassés dans le hall de cette grande maison d’édition et ne trouvant avec eux aucun point commun, je me sentais fort mal à l’aise. Peut être un peu prétentieux, je les trouvais médiocres et sans intérêt littéraire pour le développement et l’évolution du lecteur. Comment pouvait-on  éditer des romances aussi banales, des textes aussi mal écrits ne pouvant qu’abêtir l’esprit ? Fallait-il, de plus, accepter d’être mis au rang des ouvrages de vulgarisation ou rejeté par toute une frange de la population ?

 

    La situation semblait insoluble. Ne trouvant aucune solution à mon problème, je résolus de disparaître, mais comment ?

 

    Je plaçais discrètement ma tranche  dorée à l’or fin sous le rayon d’un soleil de fin d’été filtrant à l’angle du hall et j’en absorbais toute la chaleur. Les premières minutes, c’était très réconfortant mais, petit à petit, mes feuilles si minces  commencèrent à se consumer puis à se déliter. Il ne resta bientôt plus, sur le sol, qu’une  poussière d’or très fine qu’un souffle de vent transporta, haut, dans les airs.

Jacqueline L